De Lipton à Redbull
Dans quelques jours, s’achève aux Bermudes la 35ème édition de l’America’s cup. Cette révolution, initiée il y a sept ans par Larry Ellison et sir Russel Coutts, est encore flageolante.
La vieille dame de 167 ans, aura subi bien des liftings. Les cliniques de Valence et de San Francisco ne lui avaient laissés que la peau sur les os et voilà que cette ultime transformation Bermudienne vient de lui fait perdre son ADN.
Certes, les chirurgiens en charge du traitement, actuels amants passionnés et maintes fois gigolos à son service, ne lui voulaient que du bien; lui promettant une nouvelle jeunesse sur ces engins fous pilotés par des sages. On y a cru un instant face au miroir déformant de la nouveauté, on y a cru parce que toute révolution déchaine les passions et souvent le contraire.
Bien sûr le pinacle de la voile ne pouvait résister plus longtemps encore aux sirènes de la vitesse. Concentrés de technologies, nécessitants le talent de concepteurs, de constructeurs et de barreurs exceptionnels ; ces catamarans volants au dessus des flots a plus de 80 kmh nous avaient déjà fascinés il y a quatre ans a San Francisco.
Mais le problème est qu’un navire qui va vite n’a pas besoin de voiles, et donc pas besoin non plus de marins. Pour être précis, ces multicoques volants, nécessitent certes un minimum de propulsion vélique pour décoller ; mais une fois en l’air, trop de surface de voile ne génère que de la trainée supplémentaire. Il n’y a donc plus de spi, plus de génois, ni de gennakers. Ils ont aussi un énorme besoin d’énergie pour manœuvrer et régler leur appendices (foils, gouvernail, aile); cette énergie, généralement hydraulique est en partie stockée dans des accumulateurs et en totalité crée par les « marins » qui ne font pratiquement rien d’autre que pédaler ou tourner des manivelles. Sur les AC 50 qui s’affrontent aux Bermudes depuis un mois, nous avons donc 4 hamsters 1 pilote et un régleur d’aile responsable de la « manette des gaz ». Il serait très facile, si le règlement le permettait, de remplacer les 4 gros bras (ou grosses cuisses) par 1 moteur, cela rendrait d’ailleurs les manœuvres plus fluides et rapides et augmenterait d’autant l’intérêt tactique. L’enchainement des virements de bords ou empannages étant limitées par la quantité d’huile sous pression, le barreur ne peut déclencher une manœuvre que si les voyants sont « verts » ou, quand les hamsters sont tout rouges ce qui revient presqu’au même !
Comment fait on la différence entre un vainqueur et son dauphin, le vainqueur est celui qui commet le moins d’erreurs. Sur ces catamarans presse boutons, celles-ci sont bien visibles et parfois spectaculaires (chavirages, amerrissages intempestifs…) mais les causes ne le sont pas et peuvent être dues à une quantité impressionnante de paramètres totalement opaques aux yeux du public et parfois même des marins eux mêmes. Est ce le bon moyen pour passionner les foules ? Si je ne peux comprendre l’erreur, comment apprécier le beau geste. Comment différencier la chance du talent quand les conséquences d’une chorégraphie et d’une synchronisation parfaite des choses à faire ne sautent pas aux yeux et très peu aux oreilles ? Je peux vous dire que la tache d’un commentateur est parfois difficile, et ce quand bien même la qualité des images offertes soit exceptionnelle. La note artistique est assez facile à attribuer surtout lors d’un chavirage catastrophe, mais pour ce qui concerne la note technique ont se dépatouille dans un brouillard technologique dépourvu d’émotion. Lors des phases finales des challengers series, quatre caméras supplémentaires ont été installées sur les navires. Pour voir quoi de plus ? Une talentueuse équipe new zélandaise déguisée en contre la montre, dont les deux tiers de l’équipage pédale tête baissée, ne sachant même pas où ils sont et à peine où ils vont, face à quatre beaux gaillards ahanant sur des manivelles avant de courir sur l’autre coque pour faire la même chose. Pas très instructif tout ça !
Le propre d’une révolution est parfois de revenir au point de départ mais en ayant appris quelque chose pendant le trajet, alors disons que ces quelques années passionnantes nous ont enseigné et confirmé pas mal de choses :
- Oui il fallait bouger les lignes, tant sur la manière de régater que sur la manière de partager ce spectacle. Et beaucoup d’évolutions positives sont à mettre au crédit des actuels defenders.
- La plupart des armateurs privés ont fuis et sont aller se réfugier du coté des Class J (répliques des grands monocoques historiques du début 19ème) et des maxi monocoques. Ils n’attendent qu’un signe (qui viendra peut-être de la Nouvelle Zélande dans quelques jours) pour manifester, à nouveau, leurs palpitations amoureuses.
- Il y a deux fois moins d’équipes engagées qu’en 2007 malgré une transition vers la monotypie sensée être moins chère et donc attractive.
- Je serais curieux de voir les audiences de ce pur produit télévisuel qui, bien que palpitant, ne semble pas attirer beaucoup de "nouveaux clients". Pour la France, en tout cas, cela ne semble pas très brillant.
Tout cela pour dire que le produit actuel, quoique théoriquement attirant, n’est pas facile à vendre en totalité sur les marchés de la communication. La voile n’est pas un sport majeur, il y a parfois quelques évènements extrêmement populaires et sur ce plan là. La France est le seul pays très bien servi par ses produits régionaux comme le Vendée globe ou la Route du rhum.
Vouloir faire de l’America’s Cup un produit grand public et donc commercial est une volonté louable mais délicate. Les autocollants lui vont et lui font mal, ne suffisant jamais à la satisfaire pleinement, tellement elle aime le strass et la lumière, mais tous les quatre ans seulement. Le temps pour elle de se faire oublier et mieux se faire désirer par cette petite poignée d’armateurs passionnés qui, depuis plus d’un siècle et demi, lui font une cour effrénée et sans qui très peu d’équipes seraient présentes.
Génération shooter,
On veut être saoul tout de suite sans passer par le stade pompette, on consomme deux trois vidéos sur le net, avec des bateaux qui volent, des caisses à savon qui dévalent une colline ou des fondus déguisés en Batman frôlant les montagnes ; et on passe à autre chose. Michel Audiard fait dire à Gabin dans un -Singe en hiver- « ce n’est pas l’alcool qui me manque, c’est l’ivresse ». Ma troisième participation à l‘America’s cup vient de s’achever et ce fut encore un expérience fascinante mais en regardant et commentant le spectacle offert, il me manque cette ivresse : L’ivresse de l’histoire et du mérite, l’ivresse des marins travaillant à l’unisson maniant des centaines de mètres carrés de voiles et des kilomètres de cordages. L’ivresse du partage entre la jeunesse fougueuse et le respect de l’expérience.
La coupe était pleine d’un breuvage vieillit en fût depuis 160 ans, il est vrai que l’apprécier nécessitait d’avoir un minimum de goût et une certaine tendance au vintage. Mais ce voyage initiatique dans ce vaste monde de la passion voile permettait patiemment d’en saisir toutes les nuances, et donnait l'envie d’en comprendre toute la finesse. Breuvage parfois amer pour le défait, mais parfumé d’aventures et de tanins que des générations d’armateurs passionnés et de marins talentueux ont sut nous concocter. On nous sert aujourd’hui un concentré de jus explosif dont les premières saveurs arrachent le palais et piquent les yeux mais dont rien ne reste en bouche.
Alors oui, pour les accros du shooter, on peut faire un circuit annuel de Formula One sailing bubble drinking machin chose avec juste 1 pilote et 1 copilote casqués et harnachés comme des samouraïs, sur des bateaux volants, avec chavirages, sorties de piste et changements de foils aux stands entre deux manches. Bref, un pur produit parfaitement adapté au concept même de ces boissons dites énergisantes qui font temporairement monter plus haut pour stagner plus bas encore plus longtemps. Un joli spectacle pour ébouriffer, le temps d’engouffrer trois pizzas et deux cartons de pop corn. Mais ça, ce n’est pas l’America’s Cup.
Je ne veux pas dire que c’était mieux avant, parce cela n’est pas tout a fait faux. Mais ici on parle de l’America’s Cup ! Ce n’est pas rien ce truc ! et je ne peux m'empêcher de penser qu’il existe surement un juste milieu entre le spectacle au potentiel populaire, et la majesté des manœuvres d’un Monocoque ! Ça y est je l’ai dit. Et oui un monocoque !
« What ? Mais c’est n’importe quoi ! On ne reviendra jamais en arrière, t’es dingue ! »
- Oui peut-être, mais imagine un peu ça :
Un monocoque du futur, ultra léger et suffisamment instable pour n’avoir que les meilleurs (jeunes) barreurs issus entre autre des filaires olympiques, suffisamment sécurisant pour continuer à voir des armateurs fiers et heureux de prendre la barre occasionnellement, suffisamment rapide pour en décoiffer plus d’un, suffisamment grands pour renouer avec l’élégance d’hier, suffisamment casse gueule pour attirer le chaland de passage, suffisamment athlétiques pour n’embarquer que les meilleurs, et enfin juste assez lents pour encore voir une bonne quinzaine de Marins avec des vrais « ficelles » dans les mains et de vrais voiles dans les yeux ….
Loïck PEYRON